Guy Kpakpo
Le 6 mai 2004, au siège social de l'Association Béninoise pour la Promotion de la Famille (ABPF), nous avons fait la connaissance de M. Guy Kpakpo, chargé de communication à l'ABPF pendant quinze ans et directeur exécutif de l'association depuis quinze jours.
Journaliste de formation, également animateur de radio, M. Kpakpo a été contacté par l'ABPF pour « diffuser une meilleure information » sur la planification familiale, souvent perçue uniquement comme une limitation des naissances et qui se heurte donc à l'hostilité de la population.
A ses débuts, dans les années 1970, les membres de l'ABPF faisaient face à des croyances selon lesquelles la limitation des naissances était imposée par les Blancs « pour nous empêcher d'être aussi nombreux qu'eux ».
Dès 1970, un regroupement de personnes ayant foi en la planification familiale aboutissait à la création du Comité National du Dahomey pour la Promotion de la Famille (CNDPF).
L'ABPF était officiellement reconnue en juillet 1972 sous le nom de CNDPF.
L'ABPF est aujourd'hui, en date et en termes d'ampleur de l'activité, la première association de planification familiale au Bénin. Association clandestine à l'origine, elle est aujourd'hui accompagnée dans ses actions par le gouvernement béninois.
L'ABPF, qui couvre aujourd'hui les douze départements du Bénin, est une structure de taille importante et fortement décentralisée. Elle est composée de volontaires chargés de définir les orientations et d'un personnel salarié chargé de la mise en œuvre de ces orientations.
Les volontaires, un peu moins de 4.000 personnes, s'organisent à chaque niveau (national, régional et local) en une Assemblée Générale, Régionale ou Locale, en un Bureau responsable de la mise en œuvre des décisions de l'Assemblée et en un Comité Exécutif qui agit au nom du Bureau entre chaque réunion.
Les 65 personnes salariées sont réparties entre une direction exécutive nationale appuyée par trois directions centrales auxquelles sont rattachés des services, et des coordinations régionales.
L'ABPF a pour mission de promouvoir la santé sexuelle et de la reproduction, en mettant un accent particulier sur la planification familiale et la parenté responsable, la lutte contre les MST, ainsi que l'élimination de toutes les formes de violences et de discrimination à l'encontre des femmes.
L'ABPF dispose de 44 Services à Base Communautaire dans tout le pays, dont 17 sont dotés de « cliniques de zone ». Dans ces SBC, des animatrices délivrent des conseils, conduisent des séances de sensibilisation en santé de la reproduction et planning familial, prennent en charge les couples stériles et vendent des produits contraceptifs non médicaux et des médicaments essentiels à prix réduit.
Toutes agents de santé (sages-femmes, infirmières, assistantes sociales), ces animatrices dispensent également des soins cliniques et offrent des consultations gynécologiques, pré et post-natales et de médecine générale gratuites. Elles effectuent des tests de dépistage et des analyses biomédicales et délivrent des traitements contre les IST.
Ce programme permet chaque année à plus de 10 000 couples de bénéficier d'un contraceptif.
Depuis quelques années, l'ABPF a accentué ses interventions auprès des jeunes. Elle entend ainsi leur faire prendre conscience de la nécessité de s'impliquer à la base et de se prendre en charge pour développer l'économie béninoise et lutter efficacement contre la pauvreté.
Le premier CSEAJ a été créé à Cotonou en 1999. L'ABPF dispose aujourd'hui d'une trentaine de centres dans tout le pays (Porto Novo, Ouidah, Abomey, Natitingou…). Le CSEAJ est un centre d'écoute et de conseils aux jeunes en matière de sexualité et de santé de la reproduction mais aussi un lieu d'échanges entre jeunes.
L'objectif de ces centres est d'éduquer les adolescents et les jeunes à la vie familiale et à une sexualité responsable. Les agents de santé y assurent également des prestations cliniques.
Ces centres présentent la particularité d'être animés par les jeunes eux-mêmes, appelés pairs éducateurs, encadrés par un personnel qualifié. Ayant bénéficié d'une formation sur l'anatomie et la physiologie de l'appareil génital, l'éducation à la vie familiale, la communication parents-enfants, la prévention des IST et des MST, les techniques de communication, les méthodes contraceptives, ils délivrent des conseils et organisent des sensibilisations à travers des exposés-débats, des projections de films vidéo, des sketches, des jeux, des séances de lecture… Ils vendent enfin des produits contraceptifs.
L'ABPF est membre de la Fédération Internationale pour la Planification Familiale (IPPF) dont le siège se situe à Londres. Elle a également pour partenaires FPI pour le volet jeunes, l'USAID et le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA).
Une loi de 1920, héritée de la législation française, interdit l'avortement et la contraception.
L'ABPF a élaboré un projet de loi autorisant l'accès aux méthodes contraceptives et fait pression pour son adoption. Depuis cinq ans, une loi qui autoriserait la promotion de la contraception est à l'étude à l'Assemblée Nationale.
En l'état actuel des choses, l'avortement est donc interdit par la loi, la publicité en faveur de la contraception est tolérée mais cet état de fait est dangereux car les « promoteurs » de la contraception s'exposent toujours à des poursuites judiciaires.
Si les femmes urbaines ont largement bénéficié des enseignements du planning familial et aspirent aujourd'hui à n'avoir que deux ou trois enfants, M. Kpakpo constate que les femmes rurales sont restées à l'écart de ce changement de mentalités. Elles continuent à penser que « Dieu leur a donné la chance d'avoir des enfants » et qu'elles en auront « tant qu'il y en aura dans leur ventre ».
Nous avons eu l'occasion de visiter le CSEAJ d'Akpakpa le 21 avril 2004, où nous avons été reçues par la responsable du centre, Mme Brigitte Dagba, et quelques jeunes pairs éducateurs.
Le centre a été créé en avril 1999 pour permettre de diffuser, auprès des jeunes, des informations relatives à la santé de la reproduction. Le CSEAJ de Cotonou est aussi un cyber-café, ce qui permet à la fois de financer en partie l'association et de toucher les jeunes internautes.
Jusqu'ici, les jeunes n'étaient en effet qu'indirectement concernés par les programmes de l'ABPF : l'association envoyait une fois par an, lors des Journées Culturelles, des représentants dans des établissements pour organiser des causeries. Mais les résultats étaient assez faibles, le nombre de grossesses précoces notamment, ne diminuait guère. Le besoin de mieux informer les jeunes dans ce domaine s'est donc peu à peu fait sentir.
A ses débuts, le centre comptait une animatrice, Brigitte, et une sage-femme. La tâche la plus difficile pour elles a alors été de faire connaître le centre et d'arriver à convaincre les jeunes de le fréquenter. Elles ont dû fournir un important travail de communication et déployer des trésors d'imagination pour briser les tabous liés au sexe. Elles ont cherché à distribuer des dépliants dans de nombreux établissements, à y projeter des films suivis de débats, mais se sont souvent heurtées à l'hostilité des chefs d'établissement.
Après un an d'existence, en mai-juin 2000, le CSEAJ a reçu la visite et l'appui d'une ONG américaine, la PPFA-I (Planning Parenthood Federation of America – International) pour la mise en œuvre d'un projet de santé de la reproduction destiné aux adolescents. Ce projet, connu sous le nom de NAYA (Réseau des Adolescents et Jeunes d'Afrique), couvre sept pays d'Afrique : le Bénin, le Cameroun, le Malawi, l'Ouganda, le Soudan, le Nigeria et le Kenya.
Il vise à renforcer l'information et les droits des jeunes en matière de santé sexuelle, et ce par l'intermédiaire de jeunes pairs formés à cet effet. Dès la première année, une quarantaine de jeunes ont ainsi pu recevoir une formation de cinq jours, au terme de laquelle des séances d'entraînement ont été organisées sous forme de jeux de rôle pour les confronter aux difficultés de leur mission. Certains démissionnent à ce stade, essentiellement les filles, parce que « c'est pas facile de montrer comment mettre un préservatif !!! ». Au début de la formation, les pairs étaient constitués de filles à 60%. Aujourd'hui, elles sont 10 sur 28.
Les pairs éducateurs avec Brigitte, la responsable du centre
Ces jeunes pairs, âgés de 25 ans au plus, sont pour la plupart lycéens ou étudiants. Deux d'entre eux sont apprentis : l'une coiffeuse, l'autre tailleur. Ils sont devenus pairs soit par curiosité soit après avoir été convaincus par des interventions dans leur établissement scolaire. Ils ne perçoivent pas de salaire mais une « prime de transport » pour chaque séance de sensibilisation qu'ils organisent, en général sur leur lieu d'étude, dans leur quartier, sur les marchés...
Ces sensibilisations portent essentiellement sur les problèmes liés à l'adolescence, les méthodes contraceptives (intérêt, méthode d'utilisation, effets secondaires…), les MST (se faire dépister, se soigner, vivre avec la maladie…). Les pairs éducateurs sont encadrés dans ces activités par des personnes d'appui de l'ABPF. Et ces séances de sensibiliation sont relayées par des radios nationales telles que Radio Tokpa et Golfe FM.
Les pairs éducateurs organisent, une fois par mois, des spectacles de danse traditionnelle, des représentations théâtrales et des animations sur la plage de Cotonou. Ils attirent les jeunes des alentours en jouant de la musique puis engagent la conversation avec eux et les amènent à aborder des questions de santé de la reproduction et de santé sexuelle. Sur la plage de Fidjérossé, nous avons assisté à la préparation et au déroulement d'une de ces sessions de sensibilisation. Avec les moyens du bord, et notamment une sono défectueuse, Léon, Lucrèce, Blanche... se rassemblent sur le sable, se mettent à chanter et danser pour attirer l'attention. Quand plusieurs dizaines de curieux se sont rapprochés, les jeunes pairs éducateurs commencent à raconter ce pour quoi ils sont venus ici aujourd'hui. Ils parlent de l'ABPF, de son fonctionnement et de leur propre rôle au sein de l'association. Aujourd'hui, il s'agit de parler du sida et des autres infections sexuellement transmissibles. Ce sont surtout des jeunes hommes qui écoutent avec plus ou moins d'attention les explications de Léon sur les pratiques à risque et l'usage du préservatif féminin ou masculin. Tous observent les démonstrations, certains interpellent les animateurs et les questionnent un peu à l'écart. A la fin de la journée, quand il commence à faire déjà trop sombre, des dizaines de jeunes hommes sont encore là... La séance a eu beaucoup de succès et, si elle n'a pas convaincu l'ensemble des jeunes du public, elle a eu le grand mérite de faire parler sans tabou ces différents jeunes sur les dangers des IST.
Confier le travail de sensibilisation à des pairs éducateurs présente notamment l'avantage de permettre aux bénéficiaires d'oser poser des questions délicates ou gênantes. C'est ainsi qu'entre animateurs et jeunes hommes du public, les conversations naissaient spontanément et il s'avérait facile d'interpeller l'un des pairs éducateurs pour lui parler plus précisément de son expérience et lui demander conseil.
Les pairs éducateurs sur la plage de Fidjérossé