Lakana So

Le bureau de Lakanaso

Le chargé de programme et un médecin

     Nous avons rencontré les membres masculins du bureau de LAKANA SO en août 2005 puis en juillet 2006, dans les locaux de l'association, dans le quartier de l'Hippodrome : Ignace Diarra, le président, Broulaye Sangaré, le coordinateur-fondateur et David Sangaré, le secrétaire général.

     L'ONG LAKANA SO (littéralement « la maison qui protège » en Bambara), créée le 18 septembre 1997, vient en aide aux enfants des « femmes libres », c'est à dire des prostituées, mais a peu à peu élargi son activité à tous les enfants déshérités (orphelins, enfants des rues…). Cette association a été créée comme le complément logique d'une autre association fondée en 1994, DANAYA SO, « la maison de la confiance », qui s'occupe quant à elle directement des femmes libres. Après s'être intéressé aux prostituées, il fallait s'occuper de leurs enfants.

     En 2008, nous avons rencontré le chargé de programme Mamadou Diakite et le médecin Bintou Diatike. Nous avons appris que depuis cette année, les deux associations ont décidé de se regrouper dans un même local afin de renforcer les liens qui existent et de faciliter la communication et les échanges lors d'actions complémentaires. Ce rapprochement géographique constitue un avantage majeur dans l'action conjointe menée par ces deux associations, qui toutefois gardent leur indépendance.

Quelle est la situation des prostituées et de leurs enfants au Mali?

     La prostitution est légale au Mali, ou plus exactement, comme nous l'a expliqué Broulaye Sangaré, il existe un vide juridique autour de cette question : aucune loi ne parle spécifiquement des « femmes libres ». Beaucoup de ces femmes ont en réalité plusieurs activités et ne se livrent pas « à plein temps » à la prostitution. Elles peuvent par exemple vendre divers objets au marché la journée et se prostituer le soir. Evidemment, les femmes libres ont un statut social peu enviable et il en va de même de leurs enfants (7 enfants par femme en moyenne). Le premier problème que connaissent ceux-ci est l'absence d'extrait de naissance, seule reconnaissance légale de leur existence. Ils ne peuvent donc avoir accès ni aux soins, ni à l'éducation. De ce fait, ils vivent dans une très grande précarité et les filles de prostituées ont de fortes chances de devenir à leur tour des prostituées. Leurs enfants ont aussi plus de chances de sombrer dans la délinquance.

     LAKANA SO essaie donc d'œuvrer en faveur de l'éducation et de la reconnaissance civile des enfants qui lui sont confiés. L'association prend en charge 2000 à 3000 enfants aussi bien à Bamako que d'autres régions du Mali, comme Ségou, Mopti, Koutiala et Sikasso.

Santé

     Les prostituées n'ont pas le réflexe d'aller chez le médecin ou à la clinique quand leur enfant est malade. Du fait de leur statut, elles sont mal considérées par le personnel soignant. De plus, elles n'ont souvent pas les moyens de financer des soins et ont plutôt recours à l'auto-médication, ce qui se révèle parfois être pire que le mal. D'autres, épuisées en rentrant chez elles le soir, donnent des somnifères à leurs enfants pour pouvoir se reposer.

     L'association va donc les orienter vers des hôpitaux et des cliniques avec lesquels elle a des accords et où les enfants seront soignés gratuitement en échange d'un justificatif. Peu à peu, les femmes libres ont pris l'habitude d'aller chez le médecin pour leurs problèmes de santé et ceux de leurs enfants, « elles vont maintenant chez le médecin avant de passer chez nous », nous dit fièrement Ignace Diarra, le président de l'association.

Scolarisation

      Selon leurs âges, les enfants confiés à LAKANA SO sont orientés vers différentes structures :

  • Entre 6 et 10 ans, ils sont envoyés à l'école. L'association les aide pour l'achat de fournitures scolaires et de vêtements et paie la moitié des frais de scolarité (elle ne paie pas la totalité pour éviter que cela soit considéré comme de l'assistance). L'association suit chaque enfant scolarisé et organise pendant les vacances scolaires des cours de soutien pour les élèves en difficulté. Des membres de l'association passent aussi voir chez elles les familles suivies pour s'assurer du bon déroulement de l'année scolaire.
  • Si un enfant est confié à l'association après l'âge de 11 ans, LAKANA SO estime qu'il est trop tard pour le scolariser et l'oriente vers une formation professionnelle (d'une durée de 2 à 3 ans), choisie par l'enfant (couture, teinture, mécanique, éléctricité...), complétée par de l'alphabétisation. Trois enfants sur quatre réussissent à trouver un travail. Les autres continuent d'être suivis par l'association via des ateliers informels. Une trentaine de jeunes sont ainsi suivis chaque année.

Reconnaissance civile

     Lors de la naissance des enfants, l'association aide les prostituées dans les démarches administratives ayant trait à l'obtention d'un extrait de naissance. Si l'enfant est déjà âgé, l'ONG tente d'obtenir pour lui un « jugement supplétif », qui permet la scolarisation et l'obtention de papiers d'identité.

     Un aspect original de l'action de LAKANA SO est d'essayer de faire reconnaître aux pères leur paternité. « Une femme sait bien de qui est son enfant et, passé un certain âge, la ressemblance physique est tellement forte que l'homme ne peut plus nier », nous explique Ignace Diarra. Pour les aider dans cette démarche, LAKANA SO fait appel aux imams, aux associations de quartiers et aux conseillers municipaux. Mais les femmes libres sont réticentes à ce genre d'initiatives, elles ont l'impression que l'homme leur « vole » leur enfant une fois que celui-ci a grandi alors qu'elles ont pris seules en charge les frais de son éducation.

     L'association ne peut pas répondre à toutes les demandes qui lui sont adressées : sur 95 demandes en 2005, l'association n'a pu en gérer que 45. Les 50 demandes restantes sont classées prioritaires pour l'action de l'association en 2006.

Financement

     Son principal soutien financier est une ONG suisse, IAMANEH Suisse, mais LAKANA SO est aussi aidée par divers organismes publics : le Ministère de l'Education, les services des affaires sociales et les mairies d'arrondissements.

Conclusion proverbiale

     Pour conclure notre rencontre, le président nous glisse un proverbe chinois : « Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour ; si tu lui apprends à pêcher, il mangera toute sa vie ». Cela signifie que notre but est d'enseigner à ces femmes des réflexes (inscription des enfants à l'école, démarche pour les extraits de naissance…), pour que si un jour l'association disparaît faute de financements, elles puissent se débrouiller seules.

Cette page a été réalisée par les membres de l'association Courants de Femmes.