Franck Sedjro prenant la parole pendant une classe d'alphabétisation
Début avril 2004, nous avons rencontré Franck Sedjro, chargé de programmes et directeur par intérim de l'Association des Femmes Alphabétiseures de Cotonou, devenue l'Association des Femmes Alphabétiseures du Bénin en décembre 2005. Il nous a présenté l'association et nous a expliqué que ses membres avaient délibérément choisi de féminiser le terme « alphabétiseur ». Nous avons décidé de créer ensemble le site de la future AFA-Bénin.
En 1992, une organisation néerlandaise, la SNV, menait, en partenariat avec le centre de santé Solidarité, le Projet d'Aide au Développement Urbain de Cotonou (PANUD-Solidarité). Les femmes de Cotonou venaient faire peser leurs enfants au centre de santé où elles étaient sensibilisées à des questions d'hygiène sanitaire et alimentaire et, surtout, pouvaient bénéficier de crédits. Or ces femmes n'arrivaient pas à lire les montants inscrits sur leurs livrets d'épargne. Elles ont donc souhaité s'alphabétiser en français, afin de mieux gérer leurs crédits.
Un premier projet d'alphabétisation en langue française a donc été mis en place mais ses résultats n'ont pas été concluants. En 1993, à la suite d'un échange avec une association spécialisée dans l'alphabétisation à Parakou, les responsables du PANUD se sont aperçus qu'il était nécessaire d'alphabétiser les femmes dans leur langue maternelle avant de leur apprendre à lire et écrire le français. Il a alors été décidé de former dix femmes pour qu'elles puissent devenir par la suite maîtresses alphabétiseures en langue nationale et en français. Elles ont ensuite été réparties dans différents quartiers de Cotonou et ont commencé à alphabétiser les femmes en fon et en français fondamental.
Entre 1994 et 1997, les zones d'intervention se sont multipliées et la nécessité de s'organiser en association s'est fait sentir. Et c'est pour répondre à ce besoin que l'AFAC (Association des Femmes Alphabétiseures de Cotonou) est née le 27 août 1997. Au départ, l'association regroupait les dix maîtresses alphabétiseures initialement formées mais petit à petit, elle s'est agrandie et compte aujourd'hui une trentaine de membres qui interviennent dans toute la région atlantique. En décembre 2005, l'association change de nom et devient l'Association des Femmes Alphabétiseures du Bénin (AFA-Bénin)
Une élève studieuse
L'AFA-Bénin souhaite induire des changements de comportements grâce à des sensibilisations effectuées par un spécialiste dans différents quartiers de Cotonou. Ainsi, une personne de l'Association Béninoise pour la Promotion de la Famille (ABPF) peut être conviée pour diffuser des informations sur la planification familiale. Les thèmes traités peuvent porter sur le sida, la décentralisation, l'hygiène alimentaire et corporelle, la planification familiale, l'environnement…
Des lectures-débats sont également organisées en public. Les textes traduits par l'AFA-Bénin sont mis à la disposition du public, certaines personnes en font la lecture à voix haute puis la conversation et les débats s'engagent.
L'AFA-Bénin forme ses propres membres. En effet, pour devenir maîtresse alphabétiseure au sein de l'association, il faut avoir suivi les classes d'alphabétisation initiale et de post-alphabétisation. Ensuite, les femmes sélectionnées reçoivent une formation leur permettant d'enseigner le fon et le français fondamental.
Par ailleurs, les membres de l'AFA-Bénin suivent des formations spécifiques dans des domaines aussi variés que le genre et le droit, la vie associative ou encore la décentralisation. Elles réutilisent les connaissances ainsi acquises dans leurs classes.
Depuis la première campagne en 1994, 2600 femmes ont été alphabétisées par l'AFA-Bénin : elles ont toutes réussi les deux premières évaluations. Aujourd'hui, l'association se fixe comme objectif d'alphabétiser 450 femmes par campagne.
En outre, Franck Sedjro nous explique que l'un des succès de l'AFA-Bénin réside dans l'extension de sa zone d'intervention, qu'il compte encore élargir dans les années à venir. Pourquoi ne pas transformer l'association en AFAB, Association des Femmes Alphabétiseures du Bénin? L'association a en effet pour objectif de « devenir incontournable dans le domaine de l'alphabétisation ».
Enfin, l'AFA-Bénin a déjà organisé une vingtaine de séances d'IEC depuis sa création. L'association a l'intention d'organiser au moins trois séances de sensibilisation et trois séances de lecture-débat par campagne.
L'association envisage également de mettre au point des classes d'alphabétisation en mina, l'une des autres langues parlées au Bénin.
Une classe d'alphabétisation
Franck Sedjro regrette de devoir refuser des élèves. En effet, il tient à ce que les classes d'alphabétisation ne regroupent pas plus de 25 personnes, et la demande est supérieure à la capacité d'accueil. Des femmes sont obligées de patienter plus d'un an avant de pouvoir être alphabétisées.
Par ailleurs, l'association essaie de lutter contre les déperditions, mais cela lui est très difficile. En effet, les femmes qui abandonnent sont généralement en situation d'extrême pauvreté et n'ont pas suffisamment de temps à consacrer à l'apprentissage de l'écriture du fon et du français fondamental. D'autres femmes abandonnent parce qu'elles ont dû se rendre à une cérémonie (baptême, mariage, enterrement) au village, y sont restées trop longtemps et ont pris trop de retard par rapport aux autres membres du groupe.
Enfin, l'AFA-Bénin ne dispose pas de locaux suffisants. Lorsque le projet était encore financé par la SNV, dix hangars avaient été aménagés pour effectuer les cours d'alphabétisation. Depuis, l'AFA-Bénin n'a pas réuni les sommes nécessaires à la construction de nouveaux centres et doit donc se contenter de ceux déjà existants et se faire prêter d'autres locaux.
L'AFA-Bénin est financée par l'Institution Inter-Eglises de Coopération au Développement des Pays-Bas, ICCO. Pour le chargé de programmes, cette dépendance unique fragilise l'association et c'est pourquoi elle est toujours à la recherche de nouveaux partenaires financiers. Elle reçoit également un appui technique, financier et matériel de la Cellule d'Appui aux Activités d'Alphabétisation (C3A) de la Coopération Suisse au Bénin et de la circonscription urbaine de Cotonou.
Par ailleurs, l'AFA-Bénin collabore avec la Direction Nationale de l'Alphabétisation et de l'Education des Adultes ainsi qu'avec le Ministère de la Protection Sociale, de la Famille et de la Solidarité.
Enfin, l'association est affiliée au WiLDAF/Bénin et au Groupe National de Travail pour l'Education Non Formelle (GNTENF-Bénin).
L'abri accueillant la classe à Ladgi
Franck Sedjro nous a emmenées dans le secteur de Ladgi, dans le quartier Sainte-Cécile situé au nord de Cotonou, sur les rives du lac Nokoué. Les habitants du quartier vivent dans une zone inondée chaque année pendant la saison des pluies. C'est pourquoi leurs maisons sont souvent construites sur pilotis.
Sous un toit de tôle ondulée, nous retrouvons une vingtaine de femmes assises sur des bancs de fortune, ainsi que deux hommes qui suivent également la séance animée par la maîtresse alphabétiseure de l'AFA-Bénin. Cet abri est en fait un lieu de culte qui a été prêté par l'Eglise à l'AFA-Bénin pour qu'elle puisse y organiser ses cours d'alphabétisation.
Nous nous sommes également rendues dans une classe d'alphabétisation dans le quartier d'Agla Hlazounto et avons suivi le cours d'orthographe fon dans un premier temps, puis de calcul et enfin de conversation française.
Chaque élève a une petite ardoise sur laquelle il écrit et réécrit sans cesse les nouvelles lettres qu'il vient d'apprendre. Autour de nous s'affairent des dizaines d'enfants que notre présence intrigue. Des chants en fon retentissent à plusieurs reprises pendant le cours : « Il n'y a pas de honte à être adulte et à s'alphabétiser » ou encore « Il faut apprendre la langue locale de son pays, le Bénin ».
Exercice de calcul à Agla Hlazounto
Quelques mots en fon
La mère des jumeaux : hoon)
La fumée : aziz)
La femme est arrivée le matin: Ny)nu ) wa zan zan tEEn
Je te remercie : Un do ku nu we
Merci : Ku na wo
Toutes les personnes présentes, âgées en moyenne de 40 ans, sont apparemment heureuses d'être là. Les motivations des uns et des autres sont souvent assez semblables : ils veulent « mieux comprendre les choses », « savoir comment mieux gérer leurs activités », « savoir lire et écrire les prénoms des enfants ». Quelques vendeuses au marché qui perdent chaque jour des clients parce qu'elles ne comprennent pas ce qu'on leur demande en français veulent remédier au problème. Cependant, tous soulignent le manque de matériel éducatif : l'AFA-Bénin n'a pu leur fournir qu'un grand tableau noir, mais ni bancs ni chaises ne sont prévus dans le budget. Chacun doit donc amener son matériel.